Le monument aux morts de Chamonix
Mais, habitués que nous sommes à passer à ses pieds, le regardons nous vraiment ?
Il est là, bien campé sur ses jambes. Il semble songeur, mélancolique. Peut-être pense-t-il à ses compagnons morts pour la France? Appuyé sur sa jambe gauche, son fusil attaché au dos et un cache nez autour du cou, il n’est pas belliqueux. Probablement sur le chemin du retour, il semble avoir froid et parait bien fatigué.
Cette statue en bronze, haute de 2.50 m, s’élève à 4m.20 du sol sur son socle. Elle représente le poilu édifié ici en 1921 à la mémoire de tous les jeunes chamoniards morts durant cette guerre dévastatrice que fut la première guerre mondiale.
La commune, lors de la proposition faite en 1920 d’ériger un monument aux morts, précise aux architectes et sculpteurs de France participant au concours qu’elle désire un monument qui s’inspire «… de la nature du site et du cadre qui entoure la vallée ».
Le sculpteur choisi, George Armand Vérez , et François Dupupet, l’architecte, ont l’idée de faire appel à des graniteurs pour réaliser le socle sur lequel se tient notre héros. Ce sera la famille Buzzolini de Combloux qui s’en chargera. Ce socle, bloc erratique de granit trouvé au pied du couloir d’Orthaz, pèse 40 tonnes et mesure 4.20 m de haut. Son volume est impressionnant. Ce rocher, il a fallu le travailler sur place, puis le transporter jusqu’à la place du Poilu! Ce labeur est l’une des grandes fiertés de cette famille Buzzolini et des ouvriers italiens travaillant le granit dans notre vallée. Mais comment a-t-il été transporté ? Une superbe photo nous montre le moyen utilisé à l’époque. Sous le bloc ont été glissés des rondins de bois posés eux mêmes sur deux rails faits de troncs. Les rondins étaient alors déplacés de l’arrière vers l’avant pour assurer le roulement du rocher qui avançait ainsi mètre par mètre! Quel travail ! Combien de temps a-t-il fallu pour le transporter d’Orthaz au centre ville ? Mais la tâche n’était pas achevée. Il a fallu dresser le bloc et installer la statue de bronze en son sommet. Une autre photo nous montre un système sophistiqué de poutres, de palans et de poulies qui ont permis l’élévation cette masse de 40 tonnes.
Mais il est intéressant de retourner sur l’emplacement d’origine du rocher. Le bloc principal est toujours en place à Orthaz, près de l’hôtel de l’Arveyron. Les grimpeurs l’utilisent pour s’initier à l’escalade. Ce n’est qu’une partie qui a été prélevée.
L’avez-vous regardé avec attention?
Sur le côté on discerne avec précision des marches taillées, jamais terminées. A quelle construction étaient elles destinées ? A l’arrière on distingue encore des traces de la « pioda », pioda que l’on retrouve sur le bloc du monument aux morts. C’était une série de trous taillés à la broche. Dans ces petits orifices le graniteur enfonçait peu à peu des coins de fer afin de provoquer une petite fissure. Là il insérait de la « poudre noire », explosif qui permettait de fracturer la pierre. Ici le bloc a été tranché net. L’ouvrier a fait un excellent travail ! A regarder de plus près, on distingue très bien que ce bloc a été exploité à plusieurs reprises. Pour fabriquer d’autres monuments ? Peut être. Celui du monument aux morts est le dernier gros bloc taillé dans la vallée.
Aussi, devant ce monument, nous nous trouvons en face de deux symboles forts.
Tout d’abord la mémoire d’une guerre dévastatrice qui aura endeuillé toutes les familles chamoniardes comme celles de toute les communes de France. Ne l’oublions pas.
Mais ce monument est aussi le témoignage du travail d’ouvriers venus de l‘autre côté des montagnes, les graniteurs italiens, qui, quittant leur pays d’origine, sont venus travailler ici dans notre vallée. Ils ont, par ce dernier chantier, laissé l’empreinte d’un peuple dur à la peine. Ils sont devenus pour la plupart chamoniards. Ils font parti de notre histoire locale.