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Histoire d’une tragédie il y a 50 ans …Les chamoniards à l’Everest

Écrit le : 11 septembre 2024

EVEREST 74

“Le froid et le vent seront vos principaux ennemis sur l’Everest”

Raymond Lambert

Première expédition française et chamoniarde  à l’Everest

L’équipe des chamoniards à l’entrainement (photo Pierre Tairraz)

Septembre 1974. Court résumé d’Eric Lasserre, médecin de l’expédition.

Le propre de cette expédition était d’être composé de guides chamoniards qui, après deux ans de préparation minutieuse, s’envolèrent le 13 juillet 1974 pour Katman­dou. Leur but : gravir l’arête ouest Intégrale, crête vierge qui découpe dans le ciel ses corniches neigeuses sur 3 500 mètres de dénivelée, à la frontière avec le Tibet

Une belle équipe soudée

L’équipe chamoniarde, composée de 10 membres quitte Chamonix le 13 juillet 1974 et nous rejoignons une centaine de porteurs et sherpas dans la vallée du Khumbu.

Notre expédition est dirigée par le guide de haute montagne Gérard Devouassoux, 1 adjoint au maire, fondateur de l’Office de Haute Montagne, personnage charismatique .

l’équipe à Katmandou avec le sirdar et l’officier de liaison

Sont  réunis avec Gérard  les guides Georges Payot, Christian Mollier, Claude Ancey, Jean-Paul Balmat, Fernand Audibert, Daniel  Audibert, Denis Ducroz, le cinéaste ,Pierre Tairraz photographe et cinéaste  et moi-même Eric Lasserre  en tant que  médecin.

Marche d’approche

 La marche d’approche est  de trois cents kilomètres, à travers les forêts du Nord-Népal, noyées par les pluies de la mousson et infestées de sangsues. Un cheminement de 23 jours difficile, mais qui soude notre équipe et prépare à l’affrontement de la haute montagne.

Notre équipe de porteurs Photo Pierre Tairraz

Nous traversons  de nombreux villages, où je tiens chaque soir une consultation médicale assidûment fréquentée. Nombreux sont  les népalais nécessitant des soins indispensables. la queue est toujours longue …

 Après cette longue marche, nous sommes  bien acclimatés à notre arrivée au camp de base le  16 août à 5400m d’altitude sur une moraine désolée du glacier du Khumbu.. Il y a une bonne ambiance et nous sommes tous désireux d’aller plus haut, plus loin.  Gérard se montre un chef reconnu par nous tous. Chacun a son rôle et la vie au camp de base s’organise très vite  en fonction des talents de chacun.

Everest – Sagarmatha – 8848m Chomolungma (photo Piere Tairraz)

Débuts sur cette montagne mythique

L’attaque de la montagne intervient vite par l’équipement du mur rocheux vertical du col de Lho la. Le camp 1 à 5800m est dressé sur une terrasse neigeuse  à mi hauteur. Un raide couloir de neige permet ensuite de prendre pied sur le vaste col de Lho La à 6000m. De là, à droite, on commence l’ascension de la longue arête ouest, neigeuse, itinéraire que nous avons choisi. Le camp II est établi par Gérard Devouassoux et Christian Mollier sur cette arête, à 6400 m d’altitude, juste au dos d’un grand couloir d’avalanches dont  le bord gauche le sépare du camp. C’est une ascen­sion difficile , sous une  mousson permanente.

Le 7 septembre je monte dormir au camp I avec  Pierre Tairraz.

Le camp III à 7000m est établi le 8  septembre par Claude Ancey et  Jean-Paul Balmat. 

Ce soir-là Pierre et moi montons dormir du camp I au camp II. Il neige beaucoup cette nuit du 8 au 9 et le matin  nous passons beaucoup de temps à dégager  les tentes enfouies sous la neige.

Au début de l’après-midi Gérard m’envoie un message radio du camp de base pour me demander de redescendre au camp I pour libérer la  place de couchage que j’occupe au camp II, car il désire  y monter. Nous nous croisons sur le  chemin tandis que je rejoins le camp I. Pouvais je deviner que c’était  la dernière fois que je le verrai ?

L’avalanche

Le soir du  9, alors qu’au camp I je me prépare un frugal dîner, une immense rumeur envahit l’espace, suivie  d’une violente bourrasque  qui secoue terriblement nos tentes. Je parviens à stabiliser la mienne, mais celle qui se situe juste en dessous  disparaît dans le vide, entraînant avec elle le malheureux sherpa qui s’y reposait. Quel choc ! Je comprends que nous venons de subir une grosse avalanche descendue dans le couloir qui borde les camps II et I.

Tout de suite je rends compte par radio  au camp de base de ce qui vient de se passer, Un sherpa disparu, un amoncellement de neige et une angoisse chevillée à mon esprit. Il faut garder la tête froide mais nous sommes terriblement  inquiets de n’avoir aucun contact radio avec le camp II où doivent dormir Gérard et Pierre. Ou sont ils donc ? Pourquoi ne répondent ils pas ?  Je redescend  vite au camp de base avec les autres sherpas bouleversés de la perte d’un de leurs amis.

Nous devons attendre le lendemain matin pour voir arriver,  avec deux sherpas rescapés, au camp de base,  Pierre Tairraz. Il est  épuisé, tétanisé , catastrophé. Il  nous annonce que l’avalanche de la veille  au soir a écrasé le camp II. 

Il raconte comment, coincé et étouffant  dans son sac de couchage, il avait été enseveli par la neige. Il s’est débattu  pour essayer d’en sortir. Il étouffe sous le poids de la neige,  prisonnier de  ce celle-ci qui l’emprisonne. Miraculeusement  il s’en dégage,  emmené par cette rage de lutter contre ce destin  mortifère mais Gérard, qui était allongé  à côté de lui, sur la place où  je dormais la veille, était mort étouffé sous la coulée. Gerard avait disparu. Il le cherche mais en vain. Il fait terriblement froid,  Pierre  erre dans les débris du camp pour trouver des chaussettes et des chaussures, du matériel. Mais tout a été  enseveli.  Il lui faut une sacré volonté pour se mettre en marche vers le camp de base. Pierre  ne se remettra jamais de ce traumatisme d’avoir survécu à l’avalanche et de pas avoir pu sauver Gérard. 

Camp de base après l’avalanche meurtrière (photo Pierre Tairraz)

Nous passons des journées  dans le chaos glaciaire, le froid et l’angoisse,  à rechercher les corps de Gérard et des sherpas disparus. Gérard sera retrouvé quelques années plus tard sur le bas du glacier. 

C’est ainsi que notre chef d’expédition  nous quittait. Celle-ci prenait tristement fin, avec la mort simultanée de cinq sherpas, l’un sous quasiment sous mes yeux au camp I, les quatre autres  ensevelis au camp II avec Gérard .

Gerard Devouassoux ( photo Jacques Marie Bourget)

 Nous participons  à une cérémonie de crémation  pour le jeune sherpa Nawang Loutuc, 17 ans . Nous entendons longtemps les prières du lama.

La rencontre avec les familles des sherpas est douloureuse. L’absence de Gerard est forte. Nous n’arrivons pas à y croire

Nous redescendons peu à peu dans ces vallées interminables. Je continue à soigner régulièrement les habitants de ces villages traversés. Je remets l’ensemble de mon stock de médicaments et de matériel médical dans le seul hôpital de la région de Khumjung.

Nos pensées sont si tristes ! 

Nous étions jeunes, ambitieux, heureux… une belle bande de copains passionnés de montagne et de ses défis. Mais celle-ci, comme souvent, nous a rappelé qu’elle peut diriger nos divers destins.

Sommes-nous devenus plus humbles, plus lucides ? 50 ans après le souvenir de cette catastrophe reste ancré en nous .

Eric Lasserre – Médecin de l’expédition

Pour en savoir plus : l’excellent livre de Christian Mollier . “Everest 74”, les rendez- vous du ciel.

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Christine Boymond Lasserre

Guide conférencière

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