Fritz Schuler et son frère Henri ne seraient ils pas les premiers étrangers à intégrer la compagnie des guides de Chamonix ?
La tradition chamoniarde a pour habitude de raconter que Roger Frison Roche, admis à la compagnie des guides de Chamonix en 1930, a été le premier guide étranger (c’est-à-dire non natif de Chamonix) à être accepté au sein de cet organisme déjà prestigieux. Il est vrai qu’il fut un des meilleurs « ambassadeurs » des guides, tant sa sympathique énergie, sa belle simplicité, ont été une des meilleures publicités pour la compagnie.
Cependant, à la lecture de la presse et des revues spécialisées de la fin du XIXème, on voit quelques fois cités un nom de guide chamoniard dont la consonance n’est ni Balmat, ni Ravanel, ni Charlet, ni Simond…Des guides qui seraient étrangers à la vallée ? Et même deux frères ! Et oui… Ils s’appellent Schuler : Fritz et Henri Schuler. Certes pas très chamoniard comme patronyme! Et pourtant !
Nés à Bonneville de parents originaires de Stuttgart, Fritz (né en 1856) vient avec son frère Henri (né en 1861) à Chamonix chercher du travail et naturellement se passionnent pour ce massif. Tous deux parlent allemand, et leur mère leur ayant enseigné l’anglais, ils parlent couramment cette langue si utile pour échanger avec des clients déjà nombreux venant de Grande Bretagne ou des USA. Rapidement ils deviennent porteurs, se font remarquer pour leurs capacités et sont bien décidés à devenir guides. Leur connaissance des deux langues a probablement joué en leur faveur !Peu de détails sur Henri sinon que, selon la légende familiale, il portait une barbe de Toussaint à Pâques, pour, disait il, avoir plus chaud . Son nom est listé par Edouard Whymper dans son livre sur Chamonix et précise qu’il est devenu guide en 1887.. . Henri est par ailleurs cité dans une caravane de secours en août 1901.
Fritz réalise officiellement en tant que porteur son premier Mont Blanc le 4-5 septembre 1878 ! Il passe son diplôme et rentre à la compagnie le 1er juin 1882.
Dès 1883, son carnet est riche de témoignages de clients français, allemands, américains, anglais, lui reconnaissant son extrême gentillesse et sa grande disponibilité. Il épouse en 1886 une jeune fille de Morges, Jeanne Rauschert. Il l’emmène aux Grands Mulets pour passer leur nuit de noce ! Puis décide sa jeune épouse à monter au Mont blanc. Ce qui sera fait. Jeanne deviendra ainsi une vedette locale. Le Mont Blanc gravi par des femmes de guides n’était pas encore un événement très courant !
Les deux frères sont inscrits en juillet 1890 par Henri Vallot sur la liste des 110 guides ayant participé au transport des charges pour le refuge construit par ses soins. Fritz d’ailleurs travaille à l’édification du refuge dont il est le chef des ouvriers. Noté par Henri Vallot dans son récit sur la construction de l’observatoire.
Il sera, par ailleurs, en 1891, le guide de Mr Infeld, ingénieur suisse chargé par Mr Janssen et Mr Eiffel de réaliser des sondages au sommet du Mont Blanc afin de trouver le fond rocheux de cette cime. Fritz est signalé pour son ardeur et son courage au travail face aux terribles températures lors des travaux !
Dans les journaux suisses de 1891, c’est Fritz Schuler qui raconte le terrible accident subvenu au Mont Blanc en août 1891 où mourut Mr Roth, autre scientifique pris dans une terrible avalanche avec son guide Simond. Il fera partie de l’équipe de secours.
Généreux, il intègre l’équipe des pompiers de Chamonix dont il sera un temps le capitaine.
Installé à la Mollard, Fritz aura 4 enfants
Fritz ne figurait pas sur le registre civil français . Né à Bonneville, sous régime sarde, les registres d’état civil savoyards de l’époque étaient tenus par les curés des paroisses. Donc Fritz et son frère Henri , de religion protestante, ne figuraient nulle part ! Leur situation sera régularisée en 1901.
Un jour de septembre 1902, revenant d’une course au Mont Blanc, Fritz tomba dans une crevasse. Ses compagnons ne pouvant l’aider à s’extraire de celle-ci descendent à Chamonix pour organiser une équipe de secours, mais le temps qu’elle arrive, Fritz probablement en hypothermie s’était beaucoup affaibli. Il fut tiré d’affaire mais ne se remit jamais de cette terrible chute. Diminué, il perdit peu à peu ses forces et mourut le 25 juin 1903. Il avait 45 ans.Il fut inhumé dans le petit cimetière protestant situé derrière l’église « anglaise » devenue temple protestant où l’on peut toujours voir sa tombe.
Sources : Archives familiales Schuler et Démarchi – Livre de Charles Schuler : L’histoire d’une vie peu ordinaire (édition Gérard Châtel) – Revues Club Alpin Français – Livre d’Edouard Whymper : Escalades dans les Alpes