La dernière exécution capitale à Chamonix d’un crime réalisé à Vallorcine
Elle remonte au 28 janvier 1868, huit ans après l’annexion.
Elle est relatée par Stephen d’Arve, commissaire de police et chroniqueur de la vie chamoniarde, qui a assisté à la mise à mort sur le pré de foire, actuelle Place du Mont-Blanc.
L’homme qui a été guillotiné, condamné à mort pour assassinat par la Cour d’Assises d’Annnecy, n’avait pourtant pas tué sa victime qui avait réchappé à son agression. C’est dire à quel point la justice de cette époque était expéditive !
Depuis 1814, la décapitation n’avait plus cours en Savoie, sous le régime de laquelle la pendaison était la règle.
Le « crime » eut lieu dans la nuit du 12 au 13 août 1867, dans le petit village de Vallorcine. A 10h du soir, un homme vint frapper à la porte du presbytère et réveilla l’abbé Mariaz, curé de Vallorcine. Il lui demanda de venir porter secours à son camarade très malade, recueilli à la caserne des douaniers du Chatelard. Le curé suivit l’homme en toute confiance, mais arrivé au pont sur l’eau noire, celui-ci lui assena plusieurs coups de gourdin sur la tête puis le poussa dans le torrent. Blessé mais vivant, entrainé par le courant, le prêtre parvint un peu plus loin à se hisser hors de l’eau et alla chercher secours chez un voisin. Le bon curé n’avait pas moins que 14 blessures à la tête !
Pendant ce temps, le bandit retournait au presbytère et, sous la menace, exigeait de la servante Mélanie qu’elle lui remit les économies du curé, quatre pièces de cinq francs et sa montre en or, puis s’enfuyait.
Aussitôt, les villageois, les gendarmes et les douaniers se mirent à la recherche de l’ « assassin ». Celui-ci fut arrêté pas loin de la frontière par les douaniers. C’était un valdotain du nom de Vicquery François-Basile, scieur de long de son état. Il nia farouchement être l’auteur du crime, mais un enfant avait retrouvé son chapeau dans l’Eau noire, perdu au cours de la rixe. Le chapeau portait la marque d’un fabriquant d’Aoste, c’était une preuve ! Il fut transféré pour une nuit dans la cave de la mairie, puis à la prison de Bonneville.
Durant l’enquête, le maire de Saint Gervais fit savoir qu’en avril dernier, le sieur Vicquery s’était rendu coupable d’escroquerie auprès de deux de ses administrés en fournissant une fausse identité et de fausses lettres de crédit. Ce fait fortifia l’accusation, on avait bien à faire à un homme à l’esprit retors, capable d’ourdir les plus sordides machinations et de préméditer un crime avec des ruses d’Appache.
Le procès d’Assises s’ouvrit à Annecy le 17 décembre 1867 devant une foule nombreuse. L’accusé continua à nier toute participation au crime.
Des discussions animées survinrent entre les spectateurs du procès. Pour certains, « la peine du talion ne semble pas applicable puisque la victime a survécu ». Pour d’autres, « la loi prévoit ce cas d’assassinat prémédité, non suivi de mort, mais avec intention de la donner ».
Le jeune avocat commis fit, en vain, tout ce qu’il put pour atténuer sa culpabilité en arguant des « coups et blessures sans intention de donner la mort ». Malgré cette plaidoirie, le jury, à l’unanimité, répondit par l’affirmative aux cinq questions posées par le président. Le verdict fut rendu après une courte délibération : « La cour condamne l’accusé Vicquery à la peine de mort et ordonne que l’exécution publique aura lieu à Chamonix ».
Le pourvoi en cassation et le recours en grâce par Napoléon III furent rejetés.
La veille du jour fatidique, deux « Messieurs » sont venus à Annecy « prendre livraison » du condamné pour le conduire sur le lieu de son exécution. L’un était l’exécuteur en titre de Grenoble, l’autre celui de Chambéry. Ils étaient accompagnés de l’abbé Laffin et de quelques gendarmes . On fit croire à Vicquery qu’on devait le conduire à Chamonix pour un complément d’enquête, mais apparemment il n’en crut pas un mot. Pendant le voyage qui se fit par un froid glacial, le prisonnier refusa toute nourriture et toute boisson tandis que les Messieurs et leurs accompagnants se restauraient lors des étapes. A Servoz la calèche fut remplacée par un traineau à neige.
Pendant ce temps était arrivée à Chamonix, en provenance de Grenoble, une lourde charrette chargée de la guillotine en pièces détachées.
Après une nuit passée à la caserne de Chamonix, le condamné fut emmené à 7h du matin au Pré de foire.
Une foule d’environ 1500 personnes se pressait autour de l’échafaud, c’est-à-dire l’équivalent de la population de Chamonix. On y dénombrait une majorité de femmes. Les témoins privilégiés, dont Stephen d’Arve, assistaient à la scène depuis les balcons de l’Hôtel d’Angleterre.
Le condamné reçut de l’aumônier une dernière absolution, baisa le crucifix, et gravit les huit marches de la plateforme, soutenu par les deux exécuteurs.
C’est ainsi que fut guillotiné à Chamonix le valdotain François Basile Vicquery . « Ce n’était heureusement pas du sang français » commenteront les spectateurs…
Stephen d’ Arve ne relata toute cette histoire que 30 ans plus tard, en 1901, dans un petit livre intitulé « Le drame de Vallorcine ». Dans son épilogue, citant Victor Hugo, il pose franchement la question de l’inhumanité de la peine capitale, supprimée depuis longtemps en Suisse et en Italie. « Etait-il nécessaire de faire jaillir à si grands frais tant de sang humain sur la neige immaculée de Chamonix ? »