1836 : De drôles d’hôtes à l’hôtel de l’Union à Chamonix
En septembre 1836 : le propriétaire du très fameux hôtel de l’Union à Chamonix voit débarquer de drôles de personnages…
« Un soir, un jeune homme mal vêtu, couvert de boue, à la blouse étriquée et à la chevelure désordonnée, accompagné de deux enfants et d’une servante, demande à l’aubergiste s’il avait, parmi ses pensionnaires, un personnage, avec un large chapeau, une cravate roulée en corde et fredonnant en permanence une rengaine le « Dies Irae ! », ainsi qu’une belle jeune femme. Bien sûr, lui répond l’aubergiste. Ils viennent d’arriver ! Ils sont au numéro 13. Tout ce petit monde se retrouve dans une grande gaîté, ameutant les voisins irrités par le bruit. Oh ! Compte tenu de leurs vêtements farfelus, indéfinissables et par ailleurs chevelus comme des sauvages, ce ne pouvait être qu’une troupe de comédiens ! Le chef de cuisine les prend pour des saltimbanques, et en office on compte et recompte l’argenterie.
Le lendemain, un major de l’artillerie se présente et demande après ce groupe. L’hôtelier est persuadé que celui ci vient les arrêter. Ils sont si bruyants !
Mais pas du tout, il se précipite vers la chambre numéro 13 et c’est de nouveau un tapage incroyable, des cris de joie, des hurlements ! Oh scandale ! La bonne clientèle britannique n’apprécie guère cette troupe bruyante ! Ainsi, deux jeunes douairières ce soir là barricadèrent leur porte craignant, on ne sait, une invasion de leurs chambres !
Mais qui sont donc ces personnages excentriques ?
Notre jeune homme à la blouse étriquée et à la chevelure en bataille n’est autre que Georges Sand venue retrouver ici à Chamonix Franz Liszt et sa belle et douce amante, la fameuse comtesse d’Agoult : Georges Sand venue avec ses 2 enfants, mais habillée en homme, tenait à revoir ce que la bonne société parisienne décrivait avec emphase : Chamonix. Le dernier venu, le militaire, n’est autre que le major Pictet arrivé de Genève pour se joindre à cette équipe pas banale !
Le lendemain aux aurores Franz Liszt s’époumone à réveiller tout ce petit monde afin de se rendre à la fameuse Mer de glace. La caravane ne passe pas inaperçue, tout particulièrement Georges Sand osant porter un pantalon et une chemise d’homme et fumant cigare sur cigare. Franz Liszt, habillé style renaissance, avec un béret du genre « Raphaël » à l’image du peintre italien et Pictet en uniforme militaire ; on imagine l’équipée !
Au Montenvers, Georges Sand montre assez peu d’enthousiasme, contrairement à ses compagnons s’émerveillant « des magnificences de la mer de glace », « .. des éclatantes aiguilles, des glaciers et de l’immense chaos de la mer de glace où les nuages jouent avec les aiguilles dominant la vallée glaciaire ». Elle résistait à l’entrain de sa troupe, elle cueille une petite clochette bleue et déclare
« J’aime mieux cette campanule que toute votre Mer de glace » mais, attentive aux pierres, elle achète un cristal de roche. Mais il est vrai que la présence d’autres touristes l’importune. Lors de son voyage précédent, en 1834, son compagnon Pietro Pagello note la longue caravane d‘anglais de français d’allemands et d’américains qui l’agaçait déjà ! Probablement ne supporte-t-elle pas cette proximité avec ces touristes étrangers !
Elle se rend également au glacier des Bossons, et note une scène peu connue de la vie rurale chamoniarde : dans la soirée, elle remarque qu’un roulement de tambour annonce aux habitants qu’ils doivent allumer des feux dans les champs afin de les protéger de la gelée qui s’annonce.
Elle admire cependant les «… monts neigeux, étincelants aux premiers rayons du soleil »
Le soir de leur excursion, un plantureux repas les attend à la table d’hôte de l’hôtel. La bande joyeuse est mêlée à la clientèle anglaise que George Sand apprécie assez peu, elle la considère comme snob et prétentieuse !
Le lendemain, il pleuvait de nouveau. Pour passer le temps, on se mit à philosopher, puis le ciel s’éclaircissant, la petite équipe se mit en route repartant en direction de Martigny. L’aubergiste de l’hôtel de l’Union poussa un grand soulagement, se réjouissant de voir partir cette bande d’hôtes dont il se méfiait tant. La légende dit qu’il envoya aussitôt chercher Monsieur le curé pour exorciser, en les aspergeant d’eau bénite, les chambres qu’ils avaient occupées.
Georges Sand ne reviendra pas à Chamonix
Source : Annuaire du club alpin français: article de Julien Bregeault – Les quatre montagnes de Georges Sand de Colette Coisnier.